L’objet de tous les fantasmes

L’objet de tous les fantasmes

Article publié le 1er juin 2012 sur le blog Horizon Désarmant

C’était quoi, avant, le porno ? Avant la vidéo, avant le gonzo, avant internet ? Dans l’Hexagone, c’était Alpha France, une entreprise de distribution et de production, pour laquelle de joyeux épicuriens signaient des longs-métrages pornographiques entre deux « vrais » films. Brigitte Lahaie et Marilyn Jess étaient les actrices stars de la maison. Le 23 avril 2011, le festival lyonnais Hallucinations Collectives rendait hommage à cet « âge d’or » en diffusant ce qui est certainement son chef d’oeuvre, La Femme-objet (1980) de Frédéric Lansac.

Nicolas (Richard Allan) est un homme malheureux. Ecrivain de science-fiction, il a une passion dévorante pour les femmes. Et tout spécialement pour le sexe. Et quand je dis dévorante, ce n’est pas un vain mot : il veut faire l’amour tout le temps, tous les jours, toutes les heures. Si bien que toutes ses compagnes jettent l’éponge par épuisement. Que faire, alors ? Acheter une poupée gonflable ? Son imagination d’auteur lui souffle une meilleure idée. Il va se construire un robot. Une femme robot. La femme parfaite, jamais lassée, toujours partante. Ainsi, plus besoin de composer avec les limites physiques et psychologiques des humaines. Interprétée par Marilyn Jess (pseudonyme de Dominique Troyes), cette créature mécanique au teint de porcelaine et au regard sans âme devient brûlante dès lors que se dévoile sa peau de synthèse. D’abord obéissante, elle finira par prendre le dessus sur son créateur pour le soumettre à ses propres fantasmes. Les femmes électriques rêvent-elles de plans à trois ? Voilà une question à laquelle même Philip K. Dick n’avait sans doute pas pensé…

Extrait du livre Marilyn Jess, les films de culte, aux éditions Pulse Vidéo

Il est facile de supposer qu’on ne regarde pas du porno pour jouir de talents cinématographiques. Et pourtant ! Dans La Femme-objet, les décors, la musique, les cadrages et le jeu d’acteur ne sont pas moins pris au sérieux que les parties de jambes en l’air. Comme me l’a dit Richard Allan (vrai nom Lemieuvre) lors des questions-réponses après la projection, un tel film se tournait à l’époque en deux semaines, quand deux jours suffiraient aujourd’hui à boucler une production classée X. Tous les films Alpha France n’étaient pas aussi recherchés que cet OVNI, mais n’importe lequel d’entre eux a probablement plus de charme que les vidéos modernes où ne compte que la chair. Dans une interview donnée alors à feu le webzine 1kult, l’acteur se souvenait des conditions de tournage de l’époque : format 35mm, répétitions, prises multiples… Une autre époque.

Les corps, eux aussi, étaient moins stéréotypés… ceux des acteurs, du moins. Ça ne se voit pas tant dans La Femme-objet, mais plus, par exemple, dans Dodo, petites filles au bordel (1980) de Francis Leroi, d’ailleurs tout aussi bien réalisé : les messieurs étaient de tous âges et pas toujours des canons de beauté. Les scènes de sexe, elles, étaient plus sensuelles et moins automatiques qu’aujourd’hui. Les films Alpha France n’étant plus montrés en salles, ce qui était tout naturel à l’époque, les curieux peuvent se procurer les éditions vidéo qui font vivre la mémoire de cette part importante du patrimoine cinématographique français. Le tout est de ne pas se faire trop ambitieux. « Je vivrai jamais assez longtemps pour voir tous les films de cul », aurait dit un jour Maurice Pialat à Richard Allan, selon son interview à 1kult. Et les journées ne durent toujours que 24 heures…

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